Les ONG contraintes de quitter la Méditerranée


À bord de l’Aquarius, seul navire d’ONG resté au large de la Libye, secouristes et humanitaires poursuivent leur veille et s’inquiètent de l’intervention de l’armée libyenne. De son côté, Rome se félicite du changement.

Le 10 août, la marine libyenne a annoncé la création d’une zone de recherche et de secours (SAR) allant bien au-delà des 12 milles nautiques de ses eaux territoriales, et en a banni les ONG, que Tripoli accuse de collusion avec les passeurs.

Quelques jours plus tôt, des garde-côtes libyens avaient tiré en l’air en face d’un navire humanitaire, promettant de le viser directement la prochaine fois. Une à une, les ONG ont suspendu leurs opérations.

L’Aquarius, affrété par SOS Méditerranée avec le concours de Médecins sans frontières (MSF), est resté seul au large de la Libye, où le Golfo Azzurro de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms, actuellement en ravitaillement à Malte, devrait prendre le relais mardi.

À bord, les deux ONG comptent chacune une douzaine de personnes, venues de divers pays d’Europe, mais aussi des États-Unis ou d’Australie. Pour SOS Méditerranée, des gens de la mer désireux de donner de leur temps. Pour MSF, des médecins, logisticiens ou techniciens baroudeurs de l’humanitaire, de l’épidémie d’Ebola à la bataille de Mossoul, mais n’ayant pas forcément le pied marin.

À cela s’ajoutent un capitaine biélorusse et une petite dizaine de membres d’équipage, essentiellement slaves, des professionnels loués avec le bateau, mais dont la plupart ont choisi cette mission singulière.

Un calme trompeur

Les secouristes de SOS Méditerranée continuent de se relayer toutes les deux heures pour scruter les flots jour et nuit, les membres de MSF vérifient le stock de médicaments, l’équipage repeint le pont… sans oublier l’exercice physique.

La nuit, le navire s’éloigne à 30 milles des côtes, essentiellement pour éviter les filets des pêcheurs, et par mesure de précaution en vigueur depuis l’année dernière, les portes menant sur le pont sont fermées à clé.

Le jour, l’Aquarius croisait d’habitude à 20 milles – une distance à laquelle on peut apercevoir le relief libyen -, mais restera désormais à 24 milles, sauf si les garde-côtes italiens coordonnant les opérations de secours dans la zone lui demandent d’intervenir plus près des côtes libyennes.


Un plan d’urgence est en place pour permettre à tout le monde de s’enfermer si le navire est abordé. Mais pour l’instant, seul le C-Star, navire affrété par des militants d’extrême droite européens, les a approchés.

Et ce qui inquiète vraiment les humanitaires, c’est avant tout le calme plat de leurs journées.

Alors que la mer est calme et les vents favorables aux départs, l’Aquarius n’a plus aperçu d’embarcation de migrants depuis une semaine. Même au cœur de l’hiver, la saison la moins favorable aux départs, il n’avait pas connu de rotation de trois semaines sans ramener des centaines de migrants.

En Italie, les arrivées de migrants ont diminué de moitié en juillet par rapport à l’année dernière, et les autorités en ont compté 1 700 depuis début août, encore loin des 21 300 enregistrés sur tout le mois d’août 2016.

« Il est très difficile de savoir ce qui se passe en Libye. Mais ici on voit qu’il y a moins de canots qui partent et que ceux qui partent sont interceptés par les garde-côtes libyens », explique Marcella Kraay, responsable de projet de MSF à bord.

Elle qui a constaté les traces de mauvais traitements, de violences et de tortures subis en Libye sur les corps de tant de migrants secourus par l’Aquarius, s’inquiète du sort de ces migrants interceptés et ramenés dans des centres de détention en Libye, à la merci d’un nouveau cycle d’abus. À la suite de cette interdiction perçue comme une menace et quelques jours après des tirs de sommation des garde-côtes libyens face à un navire humanitaire à 13 milles des côtes, MSF a annoncé samedi la suspension temporaire des activités du Prudence, le plus gros navire de secours aux migrants en Méditerranée.

Le 13 août, deux autres organisations non gouvernementales, l’allemande Sea Eye et la britannique Save the children, ont également décidé de garder leurs navires à quai.

« Nous laissons un vide mortel en Méditerranée », a regretté le fondateur de Sea Eye, Michael Buschheuer, en calculant que son organisation avait participé au sauvetage d’environ 12 000 personnes en Méditerranée depuis avril 2016.

« Les embarcations de migrants vont être obligées de retourner en Libye et beaucoup d’enfants et d’adolescents vont mourir en mer », remarquait pour sa part le directeur des opérations de Save the children, Rob MacGillivray.

Seule l’ONG espagnole Proactiva Open Arms, dont les deux bateaux se trouvaient dimanche à Malte, a assuré vouloir reprendre ses opérations. À ses distances habituelles: 15 à 18 milles des côtes le jour, 30 à 35 milles la nuit pour éviter les filets des pêcheurs.

Source : http://www.euractiv.fr

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